Les résultats préliminaires recueillis auprès de la plupart des bureaux de vote laissent apparaître une avance confortable du parti islamiste Ennahdha, suivi d’Ettakatol (modéré) et du Cpr (radical anti-Benali). Premières leçons d’un scrutin…
Par Ridha Kéfi
Alors que le dépouillement se poursuivait encore lundi matin, ces résultats restent bien sûr à confirmer, et tant que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) n’aura pas donné les résultats définitifs, les chiffres qui circulent doivent être considérés avec les réserves d’usage.
On peut cependant avancer quelques remarques préliminaires sur l’élection de l’Assemblée constituante, qui s’est déroulée, les 20,21 et 22 pour les Tunisiens à l’étranger, et le 23 pour les Tunisiens de l’intérieur. Soit près de 3,5 millions d’électeurs potentiels, sur 7 millions de Tunisiens en âge de voter.
Rompre définitivement avec la dictature
Première remarque, les électeurs se sont massivement rendus aux urnes à l’occasion de ce premier scrutin réellement pluraliste, démocratique et transparent.
Le taux de participation a dépassé 90% dans la plupart des bureaux de vote, ce qui traduit un engouement sans précédent et un engagement citoyen dont on doit être fier. Les Tunisiens, qui ont déclenché la première étincelle de la révolution arabe du 21e siècle, continuent de donner l’exemple et de montrer la voie aux autres peuples de la région. Cette révolution est la leur, et, malgré les manœuvres politiciennes et les manipulations des lobbies d’intérêts, ils semblent déterminés à la faire aboutir en impulsant le changement susceptible de rompre définitivement avec la dictature, la corruption, l’injustice et les inégalités sociales.
Que penser de la montée des islamistes ?
Le parti islamiste était donné gagnant par la plupart des sondages réalisés avant les élections. Qu’il arrive en tête, cela ne surprendra personne. Qu’il ait le plus grand nombre de sièges dans la Constituante non plus. Mais il n’aura sans doute pas la majorité absolue qui lui permettra d’orienter les grands choix du pays. Si tant est qu’il en ait aujourd’hui l’intention, sachant qu’il revient de très loin, au terme de 40 ans de bannissement et de répression, et qu’il n’a pas encore les moyens et le savoir-faire pour conduire les affaires d’un pays très ouvert sur l’extérieur, sur les plans social et économique.
En d’autres termes, un parti islamiste fort va être désormais au cœur de l’échiquier politique tunisien, mais il ne sera pas assez fort pour imposer sa loi, car les forces libérales, progressistes et de gauche seront là pour servir de contrepoids. Si tant est qu’elles mettraient fin à leurs divisions pour constituer la plus large coalition possible.
La stratégie payante d’Ettakatol (Front démocratique pour les libertés et le Travail de Mustapha Ben Jaâfar ; modéré)
Autre remarque: si elle en surprendra plus d’un, la seconde place annoncée d’Ettakatol sera tout à fait logique. Et, surtout, méritée. Car ce parti a su faire une campagne tranquille, consensuelle, centriste, évitant les surenchères électoralistes, les excès de langage et les chasses aux sorcières. Il a parlé à tous les Tunisiens, et non à une classe déterminée, se faisant le porte-voix du peuple dans son ensemble. L’image de bon père de famille, calme et rassurant, qu’offre son chef, Mustapha Ben Jaafar, a fait le reste.
La Tunisie a besoin aujourd’hui de dirigeants qui rassemblent et non de politicards ambitieux qui divisent et montent les uns contre les autres. Et M. Ben Jaâfar qui n’a cessé de répéter qu’«Ettakatol n’a pas des ennemis mais des adversaires politiques», semble avoir rassuré beaucoup d’électeurs hésitants, dont le taux était estimé à 60-70%.
Marzouki l’homme qui ne risque pas de tromper
Autre surprise : la bonne troisième place annoncée du Congrès pour la République (Cpr ou Al-Moatamar), qui viendra aussi démontrer que les Tunisiens ne sont pas sensibles aux fastes de l’argent, aux artifices de la communication et aux manipulations médiatiques (ils en ont assez goûté sous Ben Ali), mais à l’honnêteté et à la rigueur morale et intellectuelle.
Au sortir d’un demi-siècle de dictature, portée par un système de corruption, de clientélisme et de propagande, les Tunisiens préfèrent s’identifier désormais aux hommes intègres, qui parlent vrai, quitte à être taxés de rigidité ou d’idéalisme. Et c’est le cas justement du Moncef Marzouki, un homme qui n’a jamais transigé sur les principes, qui a résisté aux tentations de l’argent et a maintenu le cap de la fidélité aux mêmes idées qui l’ont vu s’opposer à Bourguiba puis à Ben Ali : la citoyenneté républicaine, l’égalité et la justice.
Aujourd’hui, et alors que la plupart des hommes politiques tunisiens souffrent d’un grand déficit de crédibilité, pour les raisons déjà évoquées, beaucoup de Tunisiens semblent avoir trouvé en M. Marzouki l’homme qui ne risque pas de les tromper.
Le vote sanction
Reste les performances mitigées (attestées par les résultats de nombreux bureaux de vote à l’étranger et en Tunisie) du Parti démocratique progressiste (Pdp), du Pôle démocratique moderniste (Pdm), de l’Union patriotique libres (Upl). Ces partis, qui ont déployé de grands moyens avant et durant la campagne électorale, ne devraient pas, semble-t-il, récolter les fruits de cette débauche d’énergie et d’argent.
On pourrait «oser» ici une explication à cette quasi-débâcle annoncée: en axant leurs campagnes respectives sur les attaques, directes et indirectes, contre le parti islamiste Ennahdha, prenant parfois des postures outrancières, ces partis ont braqué voire effrayé la majorité des électeurs, notamment ceux des classes moyennes inférieures, des couches populaires et des régions défavorisées.
Alors qu’Ennahdha multipliait les gages de bonne conduite, montrant patte blanche et multipliant les engagements en faveur du maintien (et de la consolidation) du modèle socio-économique tunisien (statut de la femme, tourisme, libéralisme…), ces partis ont cherché, en vain, à agiter cet épouvantail… qui n’effrayait visiblement plus que les classes aisées et intellectuelles. Et puis, Ben Ali avait adopté, lui aussi, cette même démarche au lendemain de sa prise du pouvoir. Et la suite, les Tunisiens la connaissent…
Vous avez dit mauvaise stratégie? Sans doute, le Pdp, le Pdm et l’Upl auraient-ils envoyé, à l’insu de leur plein gré, beaucoup d’électeurs vers Ennahdha, dans ce qui s’apparente à un vote sanction? On a tendance à le penser.
Une dernière remarque : les résultats de ces élections ont montré que la Tunisie ne se gouverne qu’au centre et dans le cadre d’un consensus sur le plus large dénominateur commun.
Ce message de bon sens, tous les membres de la Constituante devraient le garder présent à l’esprit avant de se lancer dans les batailles homériques qu’on nous annonce pour la rédaction de la nouvelle constituante.
Par Ridha Kéfi
Alors que le dépouillement se poursuivait encore lundi matin, ces résultats restent bien sûr à confirmer, et tant que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) n’aura pas donné les résultats définitifs, les chiffres qui circulent doivent être considérés avec les réserves d’usage.
On peut cependant avancer quelques remarques préliminaires sur l’élection de l’Assemblée constituante, qui s’est déroulée, les 20,21 et 22 pour les Tunisiens à l’étranger, et le 23 pour les Tunisiens de l’intérieur. Soit près de 3,5 millions d’électeurs potentiels, sur 7 millions de Tunisiens en âge de voter.
Rompre définitivement avec la dictature
Première remarque, les électeurs se sont massivement rendus aux urnes à l’occasion de ce premier scrutin réellement pluraliste, démocratique et transparent.
Le taux de participation a dépassé 90% dans la plupart des bureaux de vote, ce qui traduit un engouement sans précédent et un engagement citoyen dont on doit être fier. Les Tunisiens, qui ont déclenché la première étincelle de la révolution arabe du 21e siècle, continuent de donner l’exemple et de montrer la voie aux autres peuples de la région. Cette révolution est la leur, et, malgré les manœuvres politiciennes et les manipulations des lobbies d’intérêts, ils semblent déterminés à la faire aboutir en impulsant le changement susceptible de rompre définitivement avec la dictature, la corruption, l’injustice et les inégalités sociales.
Que penser de la montée des islamistes ?
Le parti islamiste était donné gagnant par la plupart des sondages réalisés avant les élections. Qu’il arrive en tête, cela ne surprendra personne. Qu’il ait le plus grand nombre de sièges dans la Constituante non plus. Mais il n’aura sans doute pas la majorité absolue qui lui permettra d’orienter les grands choix du pays. Si tant est qu’il en ait aujourd’hui l’intention, sachant qu’il revient de très loin, au terme de 40 ans de bannissement et de répression, et qu’il n’a pas encore les moyens et le savoir-faire pour conduire les affaires d’un pays très ouvert sur l’extérieur, sur les plans social et économique.
En d’autres termes, un parti islamiste fort va être désormais au cœur de l’échiquier politique tunisien, mais il ne sera pas assez fort pour imposer sa loi, car les forces libérales, progressistes et de gauche seront là pour servir de contrepoids. Si tant est qu’elles mettraient fin à leurs divisions pour constituer la plus large coalition possible.
La stratégie payante d’Ettakatol (Front démocratique pour les libertés et le Travail de Mustapha Ben Jaâfar ; modéré)
Autre remarque: si elle en surprendra plus d’un, la seconde place annoncée d’Ettakatol sera tout à fait logique. Et, surtout, méritée. Car ce parti a su faire une campagne tranquille, consensuelle, centriste, évitant les surenchères électoralistes, les excès de langage et les chasses aux sorcières. Il a parlé à tous les Tunisiens, et non à une classe déterminée, se faisant le porte-voix du peuple dans son ensemble. L’image de bon père de famille, calme et rassurant, qu’offre son chef, Mustapha Ben Jaafar, a fait le reste.
La Tunisie a besoin aujourd’hui de dirigeants qui rassemblent et non de politicards ambitieux qui divisent et montent les uns contre les autres. Et M. Ben Jaâfar qui n’a cessé de répéter qu’«Ettakatol n’a pas des ennemis mais des adversaires politiques», semble avoir rassuré beaucoup d’électeurs hésitants, dont le taux était estimé à 60-70%.
Marzouki l’homme qui ne risque pas de tromper
Autre surprise : la bonne troisième place annoncée du Congrès pour la République (Cpr ou Al-Moatamar), qui viendra aussi démontrer que les Tunisiens ne sont pas sensibles aux fastes de l’argent, aux artifices de la communication et aux manipulations médiatiques (ils en ont assez goûté sous Ben Ali), mais à l’honnêteté et à la rigueur morale et intellectuelle.
Au sortir d’un demi-siècle de dictature, portée par un système de corruption, de clientélisme et de propagande, les Tunisiens préfèrent s’identifier désormais aux hommes intègres, qui parlent vrai, quitte à être taxés de rigidité ou d’idéalisme. Et c’est le cas justement du Moncef Marzouki, un homme qui n’a jamais transigé sur les principes, qui a résisté aux tentations de l’argent et a maintenu le cap de la fidélité aux mêmes idées qui l’ont vu s’opposer à Bourguiba puis à Ben Ali : la citoyenneté républicaine, l’égalité et la justice.
Aujourd’hui, et alors que la plupart des hommes politiques tunisiens souffrent d’un grand déficit de crédibilité, pour les raisons déjà évoquées, beaucoup de Tunisiens semblent avoir trouvé en M. Marzouki l’homme qui ne risque pas de les tromper.
Le vote sanction
Reste les performances mitigées (attestées par les résultats de nombreux bureaux de vote à l’étranger et en Tunisie) du Parti démocratique progressiste (Pdp), du Pôle démocratique moderniste (Pdm), de l’Union patriotique libres (Upl). Ces partis, qui ont déployé de grands moyens avant et durant la campagne électorale, ne devraient pas, semble-t-il, récolter les fruits de cette débauche d’énergie et d’argent.
On pourrait «oser» ici une explication à cette quasi-débâcle annoncée: en axant leurs campagnes respectives sur les attaques, directes et indirectes, contre le parti islamiste Ennahdha, prenant parfois des postures outrancières, ces partis ont braqué voire effrayé la majorité des électeurs, notamment ceux des classes moyennes inférieures, des couches populaires et des régions défavorisées.
Alors qu’Ennahdha multipliait les gages de bonne conduite, montrant patte blanche et multipliant les engagements en faveur du maintien (et de la consolidation) du modèle socio-économique tunisien (statut de la femme, tourisme, libéralisme…), ces partis ont cherché, en vain, à agiter cet épouvantail… qui n’effrayait visiblement plus que les classes aisées et intellectuelles. Et puis, Ben Ali avait adopté, lui aussi, cette même démarche au lendemain de sa prise du pouvoir. Et la suite, les Tunisiens la connaissent…
Vous avez dit mauvaise stratégie? Sans doute, le Pdp, le Pdm et l’Upl auraient-ils envoyé, à l’insu de leur plein gré, beaucoup d’électeurs vers Ennahdha, dans ce qui s’apparente à un vote sanction? On a tendance à le penser.
Une dernière remarque : les résultats de ces élections ont montré que la Tunisie ne se gouverne qu’au centre et dans le cadre d’un consensus sur le plus large dénominateur commun.
Ce message de bon sens, tous les membres de la Constituante devraient le garder présent à l’esprit avant de se lancer dans les batailles homériques qu’on nous annonce pour la rédaction de la nouvelle constituante.
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