Instance représentative des Tunisien(ne)s à l’Etranger :
Reprendre l’initiative
Lettre ouverte aux associations démocratiques tunisiennes en diaspora
Conseil supérieur de l’immigration, Conseil consultatif des Tunisiens à l’étranger, Haut conseil des Tunisiens à l’étranger… Depuis la révolution, les noms ont changé pour désigner l’instance qui représenterait les Tunisien(ne)s de la diaspora, mais l’idée de fond est restée la même. Cette constance a une raison simple : plus d’un(e) Tunisien(ne) sur dix vit à l’étranger et cette diaspora a transféré vers la Tunisie plus de 1,5 milliards de dollars en 2012, pour ne citer qu’un chiffre. Il est donc légitime et nécessaire qu’elle ait un outil pour faire entendre sa voix tant sur la situation dans le pays d’origine que sur ses problèmes spécifiques dans les différents pays d’accueil.
Il est fondamental de rappeler ici que cette voix autonome s’est exprimée dès le début de la révolution : manifestations de solidarité, rassemblements devant les représentations diplomatiques et consulaires, travail de neutralisation des RCDistes, interpellations politiques, naissance de nouvelles associations… Elle s’est aussi exprimée par la participation massive aux élections d’octobre 2011, et par le rôle décisif des associations démocratiques dans l’encadrement de ces élections, leur bon déroulement et la mise en échec des tentatives des RCDistes pour les saboter. Elle s’est enfin exprimée par la participation aux premières démarches pour doter la diaspora d’un outil qui lui soit propre. Parmi ces démarches : les Assises de l’immigration tunisienne à l’étranger et la réflexion assez avancée (sur la vision de l’instance et ses implications) de membres du Conseil de Défense de la Révolution à Liège.
Or, après l’élection de la Constituante, le gouvernement provisoire par le biais de M. Jaziri, Secrétaire d’Etat à l’immigration, a eu une attitude pour le moins inattendue. Au lieu d’encourager et de soutenir cette dynamique, au lieu de la considérer comme quelque chose de positif après la passivité des années noires du Benalisme, il l’a considérée comme une menace et a peu à peu entrepris de la briser. Doublement : démobiliser et contrôler les personnes et les associations actives d’une part et, d’autre part, reprendre l’initiative.
Pour atteindre ce but, il n’était pas difficile de neutraliser les RCDistes : s’ils se tiennent tranquilles, ils pourront garder leurs postes, comme en témoigne le maintien du Consul et du Secrétaire du consulat. Il n’était pas difficile non plus de démobiliser les personnes proches des partis au gouvernement, en faisant valoir notamment que tout activisme de leur part serait un soutien à « l’opposition », comme en témoigne leur passivité face aux incidents de Siliana ou face à l’assassinat de Chokri Belaïd. En revanche, démobiliser et contrôler les personnes qui aspiraient à autre chose qu’à du « Benalisme avec un personnel partiellement rénové » était un problème qui exigeait d’autres méthodes.
Et tout d’abord celle qui consiste de la part de M. Jaziri, à semer ou à renforcer les divisions : entre les associations (chacune avait ses sympathies tant en Tunisie qu’en Belgique), entre les individus (avec leurs ambitions) et les associations (avec leur fragile unité), ou entre « l’élite » (les prétendues compétences) et la « masse » de la diaspora.
L’autre méthode a eu pour but de reprendre peu à peu l’initiative. Elle a consisté principalement à multiplier les projets sans lendemains. Outre le folklore médiatique à visée électorale, ces projets permettaient en premier lieu de gagner du temps. Ils permettaient ensuite et surtout de créer de l’attentisme au sein des associations de la diaspora. Ils permettaient enfin, en effaçant ou en rendant floue la frontière entre les réseaux RCDistes et les associations démocratiques dans l’agenda des rencontres, d’exploiter la division que cela faisait naître entre les partisans de la « politique de la chaise vide » et les partisans du « si tu n’es pas autour de la table, tu seras au menu ». Ce faisant, ils permettaient de garder l’initiative et de distraire les personnes concernées de l’élaboration collective de leur propre vision de l’instance représentative.
Parmi ces projets, il y a le recrutement au printemps dernier, via l’Office des Tunisiens de l’Etranger (OTE), de Mme Barboura de l’association Amel (France) pour, dit-elle, « assurer la mise en place et la supervision du Haut Conseil des Tunisiens à l’Etranger ». Il n’est en fait que le projet le plus récent, car il a été précédé par bien d’autres. Il y a d’abord eu le Forum des associations à Gammarth (juillet 2012), puis la consultation des associations sur la proposition du chargé de mission au sein du secrétariat d’Etat, M. Azzouz (septembre 2012), enfin de nouvelles consultations confiées à M. Belhaj, attaché social au consulat de Belgique-Luxembourg (décembre 2012).
Or la méthode qui a produit ce feuilleton n’a pas été abandonnée. Maintenant, il y a encore un nouvel épisode en préparation pour les 19-20-21 août prochain : un « Symposium sur la politique nationale en matière d’immigration ». Il est organisé par le Secrétariat d’Etat à l’immigration avec la collaboration de l’OTE à la direction duquel les RCDistes continuent d’officier en toute impunité (Louizi, Mansour…).
Ces manœuvres doivent être mises en échec, car il est devenu évident qu’elles sont le produit d’une volonté politique d’empêcher la société civile démocratique en diaspora de penser et d’agir pour elle-même. Il est donc temps pour celle-ci de prendre conscience de cette situation et de reprendre l’initiative. Et elle a l’occasion de le faire : boycotter le forum du mois d’ août prochain et élaborer son propre projet. Collectivement, de manière autonome et, surtout, sans attendre.
Liège, le 13 juillet 2013